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DEVOTIO

       En ce temps, avoir un héritier mâle était crucial pour les familles nobles. Pour conserver leur richesse, transmettre leur nom et reprendre le rôle du Patriarche. Alors tout naturellement ma naissance fut une véritable disgrâce. Mais hors de question de se débarrasser de cet enfant, non pas en raison de l'amour qu'on peut lui porter mais par peur du « Qu'en dirait-on ? ». Ainsi fonctionnait le monde en 1792. Mais alors que faire de cette petite chose inutile et non désirée ? La réponse vint assez vite et à peine commençais-je à parler et marcher que déjà je me retrouvais à l'entrée du couvent de San Francesco, minuscule à côté de cette grande dame vêtue de noir et de blanc. J'étais une enfant attentive, calme et docile. J'écoutais tous les préceptes des Sœurs et de la Mère supérieure, priais avec ardeur et vénérais la seule figure de père qu'on m’ait offerte. Les années passèrent ainsi, jusqu'au jour où des valets de mon père se présentèrent au couvent. Visiblement je ne leur étais pas si inutile.
 

       A peine deux jours après mon arrivée au Manoir, on me préparait à rencontrer mon futur époux. On me disait de lui qu'il était un très bon parti, un noble anglais dont la fortune et les terres rendraient n'importe quel homme envieux. Il venait de perdre sa troisième épouse et cherchait à épouser une jeune noble pour qu'enfin elle lui offre une descendance.  Docile, j'acceptai ce qui avait été décidé pour moi. Qu'aurais-je pu faire d'autre après tout ? Ainsi les noces furent préparées et la veille du mariage je devais enfin rencontrer l'homme avec qui j'aurais dû passer ma vie. Mais à la tombée de la nuit, une lueur attira mon regard par la fenêtre. Suivie d'une irrésistible odeur. Je me suis laissée porter par ma curiosité et mon désir étrange de suivre cette piste à travers le petit bois qui longeait l'aile nord. Avec la lune pour seul éclairage, j'avançai entre les arbres jusqu'à croiser l'auteur de cet appel.

 

        D'abord je crus à un ange tant il était beau. Son regard envoutant, sa posture fière et sa main qu'il avait tendu vers moi. Il m'attendait. Sans la moindre peur je me suis approchée. Naïve enfant que j'étais, jamais je n'aurais pu imaginer le Diable prendre une forme si attrayante. Lentement il m'avait enlacée et bercée tout contre lui jusqu'à ce que je sente ses lèvres se poser contre mon cou. De doux baisers que jamais personne n'avait déposés sur ma peau. Mais après la délicieuse ivresse vint la douleur, ses crocs perçant ma jugulaire et ses bras formant une prison tout autour de moi. Effrayée, tétanisée, je ne pus prononcer un seul son. La dernière chose que j'ai ressentie était mon corps qui tombait lourdement au sol avant que le sommeil ne frappe. C'est ainsi que je fus découverte, inerte, la gorge ouverte et couverte de sang. Mes funérailles furent brèves, ma tombe creusée à l'arrière de la propriété avec une petite prière pour accompagner mon âme. On n'en accordait pas davantage à une « suivante sans famille. »

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