FERVORE
Mon père avait tout abandonné pour cette vie. Sa famille de nobles à la morale plus que douteuse et à la soif de pouvoir qui n'avait d'égal que le nombre d'âmes qu'ils avaient anéanties par leur cupidité. Son héritage également, préférant le laisser à sa jeune soeur qui semblait apprécier le fait de n'être qu'un pion dans les projets de feu mon grand-père, Fernando August Azzurati. Bien sûr ça n'a pas été facile mais il a été frappé par la chance le jour où sa route à croisé celle d'une jeune vendeuse de citrons. Elle était belle, enfin pas comme les autres l'entendaient. Elle n'avait pas ce corps et ce visage parfait qui attisait le désir primaire des hommes. Sa beauté venait de sa douceur, de sa façon de vous parler comme si vous étiez la personne la plus importante à ses yeux. Mon père était un homme têtu, bourru mais toujours honnête. Ce qu'il avait il l'avait gagné à la sueur de son front. Et à force il avait fini par gagner son coeur. Durante et Maria étaient leurs noms. Au fil des années ils ont réussi à amasser un peu d'argent jusqu'à construire une petite ferme à quelques kilomètres de Florence. Puis elle lui offrit une famille. D'abord une fille, Angela. Des jumeaux, Lotario et Renato. Une autre petite princesse nommée Elveza. Puis vint mon tour, et enfin mon jeune frère Giovanni.
Avec une si grande famille, la vie était aussi heureuse que laborieuse. Père travaillait autant qu'il le pouvait et mère prenait soin de tous. Chacun grandissait jusqu'à pouvoir apporter sa contribution. Angela apprenait la couture et se rendait en ville pour vendre ses quelques travaux. Lotario et Renato aidaient aux champs et apprenaient à chasser. Une façon de nous nourrir et de rapporter quelques sous de plus. Elveza s'occupait de Gio et moi pour alléger la charge de mère. Elle n'avait que 3 ans de plus que moi mais semblait si mature lorsqu'elle nous gardait. Elle aurait fait une formidable mère. Je me suis tourné vers autre chose. La foi. Rien de bien surprenant puisque nous avions été élevés dans la pure tradition catholique. J'aimais penser qu'il y avait une puissance supérieure qui veillait sur nous depuis les cieux. Alors j'ai commencé en tant qu'enfant de choeur durant les messes de la paroisse du village. Puis le père Varildo m'a pris sous son aile. Je devais avoir 17 ans lorsque j'ai quitté ma famille pour la première fois afin de suivre mon guide spirituel dans les montagnes. Une longue retraite de plusieurs années durant lesquels j'ai découvert la paix de l'âme, la dévotion et le don de soi. A mon retour je n'étais plus le même garçonnet capricieux et farceur. J'étais devenu un homme dont le but était de rendre ce monde ne serait-ce qu'un peu meilleur.
Je n'oublierais jamais le regard de mon père le jour de mon Ordination en tant que prêtre. Il n'était pas de ceux qui étalaient leurs états d'âme au regard de tous, mais ce jour-là il avait exprimé toute la fierté qu'il éprouvait à mon égard et m'avait tendu un présent. Une petite bible à la couverture de cuir noir et à la tranche dorée dont je ne me suis plus jamais séparé. Bien vite, je dû à nouveau quitter mon foyer et mon village natal pour rejoindre Rome. En tant que jeune prêtre, on m'avait demandé de parcourir le pays et joindre les villages les plus reculés et isolés afin d'y prêcher la bonne parole et de partager mes croyances. Après trois ans de loyaux services, je me suis vu offrir l'opportunité de retourner parmi les miens et d'officier dans la paroisse du village. Le coeur joyeux et léger, je pris donc la route qui menait à la ferme familiale. Mais ce que je vis en arrivant détruisit mon âme. Les cendres de ce qui était notre maison volaient au vent et s'engouffraient entre les oliviers mourants. Malgré tout, un certain espoir persistait au fond de moi. Peut-être avaient-ils survécu, me suis mis-je à penser. Je fis donc le tour de la bâtisse, enjambant les poutres effondrées et presque entièrement calcinés jusqu'à tomber sur une vision si horrifiante que mes jambes ne purent supporter le poids de ma douleur. Face à moi, sept talus surplombés de croix en bois sur lesquels avaient été gravés les noms de leurs propriétaires.